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Jean-Gabriel Cosculluela
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_Nodal + Ombre et matière + Moins un corps

Les notes ci-dessous sont extraites d'un carnet « Nodal », consacré à la peinture de Janos BER (1937) . Ces notes ont commencé et repris par des conversations avec Janos BER, les 23 avril (Hôtel du Midi) et le 30 mai 2007 (Crêperie La Bolée) à Annonay. Elles se poursuivent, dans leur venue et leur forme « épiphaniques » (selon le mot de Catherine Jackson).

Autour de ces notes, un dialogue s'est noué avec Janos BER.

L'ensemble des notes fera l'objet d'un prochain livre avec ce peintre français, d'origine hongroise.

Une partie de ces notes ont été éditée par le Groupe d'Art Contemporain, Annonay, à l'occasion d'une exposition « Des limites » (1er- 30 juin 2007).

Nodal

A Janos Ber,
évidemment

Je vous parle d'une peinture qui fuit, qui file, mais il y a toujours un noyau, rémanent, en filigranes.
(Janos Ber)
23 avril 2007

Je suis porteur de quelque chose, mais je ne peux pas le garder.
(Janos Ber)
23 avril 2007

Quand on regarde vers l'intérieur, on commence à peser un manque de densité, d'intensité : il manque quelque chose qui résiste. Comme le paysage résiste à Paul Cézanne. L'empoignade donne l'intensité.
(Janos Ber)
23 avril 2007

Entre dedans, dehors, la peinture reste dans la nécessité d'une décantation, d'une épure, ombre sur ombre, lumière sur lumière. Elle reste inachevée : comment repousser les limites ?
La peinture garde l'espace, et la forme, en éveil, dedans, dehors, dans une vibration.
Elle prend le temps d'un retrait et d'un silence attentifs.
15 mai 2007

Le peintre n'arrête pas le geste, ni les lignes, ni l'espace.
La peinture. La peinture en suspens.
Les couleurs, les traces, les repentirs.
Le peintre reprend ce qui ouvre encore l'espace, même dans un resserrement, même dans un vide : la présence, l'inattendu, ce qu'il creuse en lui, même avant de traverser, de faire corps.
15 mai 2007

Existe-t-il un espace au-delà de toute limite ?
C'est l'espace encore de la peinture, c'est l'espace même de la peinture. L'intensité.
16 mai 2007

Pas de sujet. Pas de paysage.
Un paysage intérieur. Un lieu nodal, des lignes nodales et un espace d'erre nodal.
Puis, il y a flux et reflux du geste.
Le sujet est insaisissable. Fuit une lumière silencieuse, un déchirement de ciels.
17 mai 2007

Le 23 avril 2007, pourquoi n'avons-nous pas parlé de Harmenszoon van Rijn Rembrandt ? De sa lumière silencieuse avec l'ombre ?
18 mai 2007

Ces pigments de noir et de gris dans les fusains, ces pigments de couleurs. Habiter les lignes, les traces, les repentirs, intensément, sans figure Et aussi ce déséquilibre, ce doute, nodaux.
18 mai 2007

L'espace glisse dans les lignes, les matières, les traces, les repentirs de la peinture, s'efface, se creuse. La peinture est palimpseste. Elle s'oublie, là et pas là, en s'abandonnant à l'étendue.
Le peintre s'extrait, s'illimite. Il y a un autre espace nodal, intense, invisible dans l'étendue.
18 mai 2007

L'énergie a à voir avec les lignes, les traces, les repentirs,
l'étendue qui absentent les limites.
20 mai 2007

Partir. L'espace entrouvert. Partir d'un lieu nodal et l'errance reste nodale, la fuite reste nodale, pour toujours heureusement inépuisables.
20 mai 2007

Dans le désert de voir, le peintre vient, sans aucun point d'appui ni d'arrêt, en quête de commencement.
Le ruissellement de peindre est en quête, en question.
Les lignes, les traces, les repentirs ruissellent, s'effacent et creusent l'espace.
Ce fragment d'espace n'en finit pas dans l'étendue, ni dans la profondeur et cherche son point d'appui.
22 mai 2007

Le peintre vient dans un espace où du jour a été laissé.
Et il laisse du jour dans l'espace.
Il vient dans une lumière vive. Il vient dans une lumière, même obscure.
22 mai 2007

« Ce qui affleure porte les traces d'un cheminement »
(Janos Ber)

Ce ruissellement d'amont. Cette énergie nomade va vers la forme et la dépassant, s'en revient.
22 mai 2007

Nouer ou dénouer l'infini : une prière quotidienne dans cet espace, dans les limites d'un ciel traversé. Comme retourner à la pauvreté nécessaire de peindre, au motif, au mouvement même de cette pauvreté.
22 mai 2007

Pourquoi ne pas parler ici aussi dans cet espace, cette étendue, cette profondeur, de la peinture de Henri Matisse et de Pierre Tal-Coat.
27 mai 2007

Parlant d'espace, d'étendue, de profondeur, de limites et d'illimité, il faut parler du désir, et du temps de la peinture. La peinture est immanente aux limites et à l'illimité : « Le temps de la peinture…ne fait que commencer » (Janos Ber).
27 mai 2007

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Ces traductions (extraits) proviennent du livre « Sombra y materia » de l'écrivain espagnol Alfonso ALEGRE HEITZMANN (1955), publié par les éditions Rosa Cubica (Barcelona, 1995).

L'ensemble des traductions sont à paraître prochainement dans le livre « Ombre et matière » aux éditions Atelier des Grames (Gigondas), avec des dessins d'Antoni TÀPIES.

J'ai traduit un autre livres d'Alfonso ALEGRE HEITZMANN, « El Camino del alba » inédit en espagnol, et publié d'abord en version française, « Le Chemin de l'aube » avec des dessins d'Albert RÀFOLS-CASAMADA aux éditions Voix d'Encre (Montélimar, 2005).

Ombre et matière
de Alfonso Alegre Heitzmann

Traduction de Jean Gabriel Cosculluela & Joséphine Philippot

Ombre et matière
Le mouvement des ombres sur le mur me donne à voir le monde; glacis insaisissable, jeu d'ombres qui s'éloignent et reviennent, battement d'ailes sans bruit qui réunit la lumière et révèle le silence, dans l'espace blanc où rien ne bruit.

*
Je dirais lézarde, trou, strie,
désert, mer, fleur, signe.
Durent la pierre et la lumière.
Danse le silence. Les
ombres effacent le monde,
la lumière déplace les ombres.

*
Toile, blanc d'ombres d'air inaccessible. Force proche, étrange, la main trace sans crainte les signes dans leur fuite. Les lignes de silence déchirent la lumière sur la toile, désir de serpent ou lézarde, laissent l'écriture du mystère.

*
Une seule ombre nous unit, nous enferme
et dérobe aux regards - Nuit dans la Nuit.
Une seule ombre brûle le silence.

*
Le mur trace
des lézardes dans l'ombre,
blesse son infini.

*
Bruit dans la lumière, silence d'ailes, de rêve et d'éclat. L'ombre des signes précède les mots.

*
Le sommeil du mur
dans la lumière,

paysage de tranquillité dans la mémoire.

*
Figure déserte,
géométrie calcinée,
flamme blanche -
feu tranquille.

Le mot pot

Le feu ouvre le domaine de la nuit. Terre, ombre, creux, argile - Nuit caressée. Pot de terre, lieu obscur du son d'un mot, brûlé jusqu'à sa matière d'écho et de monde.

*
Flamme figée dans son ombre,
limite brûlée de nuit, présence
obscure, recueillie, ex-voto
brûlé jusqu'à la soif creux du désir.

*
La lumière abrupte révèle les ombres - cendre.
Les corps gisent sur le côté
Le mystère (c'est le ciel, c'est le feu) c'est le toucher.

*
La magie c'est le visage, l'être qui se penche et l'ombre haute, comme une flamme entre deux corps.

Les mots dessinent leur mystère même.

*
Ton corps éclaire la forme de la caresse, escargot lumière de ta mer dedans, de ton écho obscur.


*
Pot du sel qui brûle,
escargot de la mer, loin,
rose des vents du désert -

à la limite de l'eau.

Jardin

à mes parents

Grâce au feu qui me cache et m'éclaire, j'ai vu la rose de nuit dans le désert. Seule elle pousse dans l'obscur, dans le cercle limite du feu; elle est rose d'ombre première, dessin de parfum et de couleur; personne ne la voit, elle n'est qu'ombre de rose.

*
Vibre la feuille
dans l'air,
comme l'étoile -

tremblée dans l'eau.

*
Tranquillité
du monde

(la fleur
gravit
le
ciel)

Obscure
immensité

*
Jasmin

arôme
blanc
de la lumière

(la maison)

à Rosa Rissech,
in memoriam

Tu ne peux que montrer les choses, et la lumière
blanche, la chaux qui les éclaire, sous la
voûte nue qui nous accueille dans la nuit.
Tu les prends une à une, muettes et immobiles et
tu me les montres; alors je vois tes mains,
dans la lumière du temps de chaque objet,
proches de la chaux, transfigurées par ton passé.

*
Bruit, la nuit ;
s'ouvrent tes pétales.
Rose, univers.


*

à Victoria
Surface pure de l'eau
une feuille invisible
tombe

je me regarde dans ton ventre

*
Je veille sur ton sommeil
et dans l'amour je respire
au tréfonds de ton corps.

*
à Margarita Sabartés

La lumière ne déborde pas,
elle naît sereine,
des bords

de la passion

*
Toutes les portes
donnent sur la nuit ;

la main qui les pousse
sait pourquoi,

et c'est toujours
(la main sur la poignée)

la main d'une femme.

Pourquoi ta question, dès lors
que toute raison est vaine ;

du désert vient le vent,
déjà la porte est ouverte.

Il y avait une femme,
tu vis sa main.

*

Nuit et jour
l'univers,
lumière et ombre,

mais l'ombre a sa lumière.

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Le texte ci-dessous est celui d'un livre d'artiste à 4 exemplaires, avec le peintre Joël Leick.

"Moins un corps" a fait l'objet d'un livre manuscrit et accompagné de peintures originales de 4 exemplaires numérotés et signés par l'écrivain et l'artiste. À l'enseigne de l'Atelier de Joël Leick, le 10 novembre 2000.

Le peintre a accompagné un autre de mes livres par une photographie et des peintures brûlées inédites : "L'Odeur de brûler l'oubli" aux éditions Zéro l'infini également en novembre 2000.

Il doit faire l'objet d'une réédition dans un livre regroupant tous mes textes pour des livres d'artistes.

Moins un corps

Alors, fous-moi la paix avec tes paysages !
Parle-moi du sous-sol...
Samuel Beckett


Pour Joël Leick

un corps

un corps
moins un corps
le mot est terre
et à peine terre
accord perdu
il creuse

le seuil n'est pas mémoire morte

tu finis par t'oublier dans le pays natal
mais déjà dehors

le mot est perdu dans l'erre

écrasé
il creuse

ne pas fermer l'oeil de la nuit

ne pas fermer l'oeil du jour

graver le secret

un corps

moins un corps
marcher bas
dans la dernière extrémité

l'empreinte est l'emportement

du silence
le silence à l'extrême pointe

moins un corps
la main d'adieu reste
à l'envers
dans l'air creusé de la terre
tu ne peux plus rien nommer

il y a un noir

puis le mot: terrible

et la trouée du silence
le ressac de la terre pauvre
de la terre nue

moins un corps
ne pas fermer l'oeil de la nuit
ne pas fermer l'oeil du jour
peut-être restes-tu sans le premier mot
peut-être restes-tu sans le dernier mot
le mot est dehors
terre en deçà du silence
dans l'air vif de la mort

parle-moi du sous-sol
en deçà du silence
le mot est dehors
la main est adieu
elle creuse
parle-moi du sous-sol





10 novembre 2000





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