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Martina Kramer
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_Comment dire la lumière ? préoccupations autour de ma recherche plastique liée à la condition humaine *

notes 1993 / 94

lourdeur et légèreté

Le poids et la gravitation nous attirent à la terre.
Verticalité au lieu d'obliquité impossible.
Equilibre.
La verticalité obstinée.
Ou l'horizontalité - passive.
Mais toujours le poids, la gravitation.
Les hommes sont graves.
Et aussi leur corps les lie à la terre.
Le corps tire vers le bas, et l'esprit veut en haut, ou au large.
Il veut décoller. Sortir de la peau. Reprendre haleine.
Soulager. Elargir. Aérer.
Ils sont très raisonnables.
La raison tire vers le bas, puisqu'elle est toujours en retard par rapport à l'expérience.
Constamment ces deux forces - vers le haut & vers le bas - étirent l'homme.
Celle qui tire vers le bas est plus forte puisqu'elle est réunie avec la gravitation.


Légèreté

Contre le sens unique gravitique.
Décollage.
Changement de la disposition précédente (avec des gestes légers)
Reconstellation.
(avec des matériaux légers)

Disposition des matériaux légers jusqu'à la situation limite où ils deviennent immatériels.
Eléments.
Qui dans certains rapports provoquent la tension.
Etendus.


L'espace intérieur

Les espaces intérieurs sont logiques - accordés à l'équilibre du corps.
Les sols sont plats et horizontaux, et les murs verticaux, à 90° par rapport aux sols.
Les murs sont durs.
Ils portent le plafond. Appuient, soutiennent.
Abritent.
Assurent la stabilité de l'espace.

Quand nous entrons dans une salle, nous sommes parallèles avec les murs de son intérieur.
Mais à quoi est parallèle notre propre intérieur?


Lumière

La lumière est impalpable, inaudible, indicible.
Inconstante, chimiquement inexistante.
Et pourtant, d'elles sont toutes les choses.

Avant qu'on ne touche et avant qu'on ne sache ce qu'est la matière,
tout spectacle peut être vécu comme un champ lumineux,
fait d'éléments lumineux de différente intensité.

La lumière est ainsi la condition primaire de la peinture.
Volontairement isolée ou captée, la lumière est l'élément pictural principal.
De l'organisation des rayons de lumière ou de leur détournement résultent des transformations d'espace et de la matière inattendues.
A l'intérieur des lois physiques attendues, s'ouvrent des situations " hors-la-loi ".

Il s'agit de la lumière en tant qu'élément mirifique, duquel est rempli tout espace hors nous mêmes. De la confrontation de l'espace intérieur, mental, avec l'espace extérieur qui est tout de lumière continue concentrée.


Noir

Uniquement le noir absorbe entièrement la lumière, à la différence de toutes les autres particules et surfaces.
Il rappelle à l'absence de la lumière, alors qu'il est en réalité la lumière absorbée.
La respiration du monde continue dans le noir, seule son image disparaît.
A l'intérieur du monde éclairé, tout noir total est un trou.

Utilisation du noir non pas comme " lourd ", mais comme le conduit d'air.


notes 1997 / 98

Besoin ou pas besoin de faire?

Etrange condition ; éternelle question.
Et puis, double réponse : oui et non.

Oui, comme porteur d'Eveil.
Oui, comme lien avec la société.
Oui, comme possibilité de découverte.
Oui, comme possibilité de mouvement et de surprise.

Non, comme distance.
Non, comme réflexion.
Non, comme résistance aux raisons frivoles.
Non, comme liberté.


Le mur dur

Surface verticale, paroi, barrière, délimite et défini l'espace clos. Solide, dur, consistant, matériel, dans la construction il supporte et est supporté par d'autres parois (murs, sols, plafonds).

Surface repère, équilibrante. Parallèle à la verticalité de l'homme debout, elle détermine le sentiment de stabilité.


Le mur souple

Surface blanche, recevant la lumière. Blancheur souple, vierge. Avant intervention quelconque, c'est le grand vide, aérien. L'espace ou surface de lumière.

Si l'intervention sur le mur ne confirme pas sa nature matérielle, cette blancheur reste souple et incertaine, modelable.

C'est grâce à la lumière qu'on connaît notre environnement. Mais le connaît-on vraiment? Que voit-on? Les délicats décalages introduits dans notre automatisme de reconnaissance suffisent pour annoncer l'inconnu. Démontrer la méconnaissance.

Assouplissement du mur. Sa sensibilisation. Ouverture dans le mur. Irritation de la peau du mur. Suggestion de la profondeur dans la blancheur.
Qu'est-ce qu'il a derrière? Par rapport à nous, devant. Mur en tant que membrane entre le devant et derrière.

Rendre le mur abstrait veut dire aussi détourner la gravitation. Le mur physique est extrait du monde lourd, attiré à terre. Dématérialisé, il est constitué de lumière, léger.
Cette sensibilité détournée déstabilise.
Questions autour des éléments de la perception stabilisante et déstabilisante.


L'appréhension de l'espace

Recherche de l'état d'attention, d'aiguisement des sens.
Quête à saisir des plus subtils indices de l'espace, de ressentir la réalité de notre corps dans cette écoute, notre relation étroite à la nature phénoménale de l'environnement.
Eveil de la capacité d'une perception plus élémentaire, la conscience entrant dans le domaine du sensible.


Formellement parlant
ou parlant de la forme

Souvent la courbe, en contradiction avec le mur droit.
Le vertical supporte l'horizontal et inversement ; ils fonctionnent en dépendance l'un de l'autre. La courbe échappe à cette fixation, et subvertit la stabilité de ce principe de base.

Parfois les droites.
Elles se situent en parallèle ou en croisé avec l'homme debout et fonctionnent dans cette relation. les formes plus petites qui n'ont pas d'influence directe sur la situation physique de l'espace, sont rectilignes pour cause de neutralité. Car la forme ne m'intéresse pas, mais la manifestation d'une lumière, d'une énergie, d'une tension qui provoque une appréhension plus aiguë de l'espace.
Donc plutôt que des formes, il s'agit de tracées ou de coupures, ruptures, trous, fentes, ouvertures. Comme rupture du blanc apparaît une ligne noire, plus large elle a la densité d'un trou. Ou bien les coupures dans le blanc, laissant sortir le reflet de lumière de la couleur.


Quand on dit l'espace,

on peut croire qu'il s'agit de l'espace architectural. Mais au fond il s'agit de l'espace en tant que milieu dans lequel nous existons, l'environnement de notre corps, ce qui nous entoure. Donc, en quelque sorte de ce qui nous est extérieur, et quelle est notre relation à cet extérieur.

Matériel en tant que qualité physique, chimique, fonctionnelle de l'objet, ce que l'on sait et reconnaît. Immatériel en tant que réalité sensible et changeante, donc qui ouvre l'attention à l'incertain et l'inconnu.

Ainsi le mur est fait d'atomes mais aussi de lumière. C'est dans ces dispositions que j'utilise les éléments d'architecture, comme support sur lequel je renforce le caractère immatériel et incertain de l'espace.


L'inconnu

J'ai noté cette phrase de Max-Paul Fouchet, parlant de l'homme : " Passager, se sachant tel de naissance obscure à la mort inconnue, furtif entre deux nuits, il souffre de toute problématique où se dévoile sa précarité.
Sa constante invention fut, par suite, de créer des immuables. "

Dans le passé religieux de l'humanité, existait automatiquement la dimension spirituelle des choses, et c'est avec la perte de religion que cette dimension se perd. Mais comment arriver à une conscience spirituelle sans dieu ni religion?
Une conscience et une sensibilité, le tâtonnement dans cet inconnu-là.


Ce n'est pas de la géométrie, ni ce qui était défini comme l'art concret.

Ce n'est pas un découpage géométrique de la surface.
La continuité de la surface est interrompue mais en relation au corps et non en relation aux principes du cercle et carré. C'est la coupure de l'espace physique et de l'espace lumineux.
Donc, il s'agit presque de la sculpture, car le corps est provoqué dans un espace défini par la lumière.

C'est aussi pour cela que j'utilise souvent les murs entiers, pour agir plus directement sur le corps et sa stabilité, ses repères dans l'espace.
C'est peut-être paradoxal, en perdant les repères physiques habituels, l'attention est concentrée sur le caractère immatériel de l'espace.
Ou bien : c'est par le corps que passe la conscience de l'incorporel.


A quel moment j'estime que c'est une oeuvre?

Ce moment est lié à la nature de la recherche, qui est empirique. Les idées, les dessins, les intentions font partie des préparations, bien sûr, mais c'est seulement la réalisation qui est décisive ; soit il se produit quelque chose d'inattendu, soit le projet ne fonctionne pas.
La recherche est donc une certaine quête de ce qui dépassera l'intention, ce qui apparaîtra inattendu. Mais la surprise / découverte n'est pas encore une oeuvre.
Il faut qu'elle soit réduite à son état le plus fondamental, car c'est comme ça qu'elle aura le plus de force.
Il faut enfin qu'elle reste ouverte, c'est à dire que sa portée soit au-delà de mon contrôle et ma compréhension.


Couleur noire

Dès que l'espace est observé en tant qu'une zone de lumière, il est nécessaire de concevoir le noir comme la lumière absorbée.
Les qualités du noir les plus spectaculaires sont :
la capacité d'annuler le volume, car peint en noir un volume n'a plus d'ombres,
la capacité de profondeur incommensurable, car dans un environnement non noir, le noir apparaît comme un trou, immatériel.


Dans le reflet de lumière, il y a au moins deux aspects extraordinaires :

D'abord, la saisie de la lumière environnante en un point, ou une ligne, ou une surface réduite et déterminée,
donc, cette capacité des surfaces brillantes de capter et ensuite renforcer la lumière, la mettant ainsi en évidence d'une manière presque matérielle, puisque la lumière est à tel point partie intégrante du monde visible, qu'elle en devient invisible.
Il y a cette mise en évidence, cette réduction, ce renforcement et concentration de lumière.

Il en résulte le deuxième aspect extraordinaire du reflet :
son apparence de source de lumière. Car, dans un environnement modérément éclairé, un point brillant peut apparaître comme source de lumière, alors qu'il en est seulement le capteur.

(plus la surface brillante est importante, plus est manifeste sa capacité d'éclairage. Par exemple la surface de la mer au crépuscule, ou la neige dans la nuit.
il arrive aussi qu'une lumière soit rallongée dans le reflet, qu'un point devienne une ligne.
etc.)


notes 2000

L'espace

Plus j'utilise le terme d'espace, plus je m'éloigne de ce que je cherche à nommer.
Le mot est trop vaste, a trop de significations (c'est le tout, c'est le rien, c'est le plein, c'est le vide, ou l'intérieur d'une boîte, ou son extérieur, ou la salle d'une galerie, un parc, un pré, l'atmosphère de la terre, le cosmos tout entier!)

Comment l'appeler alors? Cet air, notre dehors, un champ de vision, donc délimité, donc près du corps, de la matière visible avec ce qui est entre, cet invisible et indicible où flottent des grains de poussière et autres innombrables particules, ce conducteur de rayons, lumineux bien sûr, mais aussi de ceux qui échappent à l'oeil, autres ondes électromagnétiques...

L'étendue dans laquelle évolue l'être humain?
Son antre?
Le support de sa connaissance?


L'apparence

Matérialiser l'immatériel, dématérialiser le matériel.
Agir sur la surface de la matière, pour mieux en toucher les profondeurs, la surface étant l'enveloppe visible d'un intérieur incertain.
Sensibiliser cette surface, l'irriter, y installer une tension, une lumière inattendue, une vibration.
Afin de l'ôter?


L'homme

Lourd, il appartient à la matière, au sol, mais par la pensée il sort de cet état.
Debout, il touche son monde par ses pieds et ses yeux.
Les pieds étant le contact avec la matière, les yeux avec la lumière.
C'est toujours sa condition et le restera, malgré les extraordinaires performances du cerveau électronique.
(sa pensée est aussi une onde électromagnétique)

Entre ce corps debout et l'avancée scientifique, existe le domaine du sensible, en retard (ou en régression?)

Repousse-t-il ce domaine à cause de la peur?


La présence

est la partie importante de cette attitude plastique.

Parmi d'autres attitudes artistiques dont l'objet se rapporte aux notions et faits extérieurs à l'oeuvre, provoquer le bouleversement sensoriel du regardeur se rapporte à sa propre présence.

(la question irrésoluble de notre propre présence!)

L'énergie, la pleine charge de l'oeuvre, ne peut se vivre qu'en direct, dans l'instant privilégié du regard.
La chose est là, et pas ailleurs, elle réalise le présent.

Encore faut-il atteindre cette densité, et dans l'oeuvre, et dans le regard.




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